Un roman d’anticipation
Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, publié dans les années 30 est un roman d’anticipation décrivant une société future où tous les enfants sont conçus dans des éprouvettes. Ils sont génétiquement conditionnés pour appartenir à l’une des 5 catégories de population. De la plus intelligente à la plus stupide : les Alpha (l’élite), les Bétas (les exécutants), les Gammas (les employés subalternes), les Deltas et les Epsilons (destinés aux travaux pénibles). Le meilleur des mondes décrit aussi ce que serait la dictature parfaite : une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude… Le monde dépeint dans le livre présente une société supposément parfaite où le simple fait de ne pas être heureux est considéré comme une grave incongruité. En effet, quoi de pire pour une société consommatrice et productiviste censée vivre en parfaite harmonie que la survivance de sentiments personnels et d’opinions autonomes ? Et si par malheur le moral baisse, on s’empresse de leur faire ingurgiter une bonne dose de soma, sorte de mélange de tranquillisant et d’hallucinogène, qui transporte infailliblement au septième ciel et prépare l’individu à reprendre le cours prédéfini de son existence comme si de rien n’était.
Interprétation
Commenté par le philosophe Serge Carfantan en 2007 , le contrôle dépeint peut être résumé ainsi :
Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.
Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.
Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle volonté d’intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir.
Retour sur l’oeuvre
Quinze ans après la première édition, Aldous Huxley revoit son analyse et insère dans la préface une nouvelle datée de 1946, qui se conclut ainsi : il semble que l’Utopie soit beaucoup plus proche de nous que quiconque ne l’eût pu imaginer, il y a seulement quinze ans. À cette époque je l’avais lancée à six cents ans dans l’avenir. Aujourd’hui, il semble pratiquement possible que cette horreur puisse s’être abattue sur nous dans le délai d’un siècle.
Conclusion
Que ce soit Netflix et cette génération zapping, le désir d’instantanéité version Google, la profusion du sexe sans compter la baisse significative du niveau intellectuel de nos bambins et la difficulté d’accès aux « réelles connaissances » (nous y reviendrons dans notre prochain article), il est clairement établi que nous évoluons vers une société apathique où l’émotionnel a pris la place à la raison. L’Humain se meurt à vue d’oeil, aux yeux de tous, sans forcément qu’un constat soit justement établi.
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